Quel dommage que vous ayez annulé votre don 🙁
N’hésitez pas à en faire un lorsque vous changerez d’avis 🙂

Votre inscription au colloque a bien été enregistrée grâce à cette transaction.

Les biographies d’écrivains :

hybridations, fusions, métamorphoses


Colloque international – 19 et 20 septembre 2013

Université Paris – Sorbonne

Organisé par l’équipe D2I (VALE : EA 4085)


Ce colloque sera consacré aux biofictions, biographies littéraires et biographies familiales d’écrivains dans le monde anglophone, du modernisme jusqu’à nos jours.

Depuis le renouvellement du genre initié par les « Nouveaux Biographes » anglais (voir les célèbres essais de Virginia Woolf « The New Biography » et « The Art of Biography », 1927), la tradition des biographies d’écrivains a connu de nombreuses réinterprétations, comme celles proposées par Anthony Burgess (Nothing like the Sun: A Story of Shakespeare’s Love-Life, 1964), Peter Ackroyd (The Last Testament of Oscar Wilde, 1983 ; Chatterton, 1987), Julian Barnes (Flaubert’s Parrot, 1984 ; Arthur and George, 2007), Michael Cunningham (The Hours, 1999), ou encore Lila Azam Zanganeh(The Enchanter: Nabokov and Happiness, 2011). L’hommage d’un écrivain à un autre s’exprime également dans des biographies plus traditionnelles, telles Nicolai Gogol (1944) de Vladimir Nabokov, Shakespeare : The Biography (2005) de Peter Ackroyd ou Like a Fiery Elephant: The Story of B. S. Johnson (2005) de Jonathan Coe. Les biographies familiales d’écrivain(e)s (My Ear at his Heart (2004) de Hanif Kureishi, ou Alfred and Emily (2007) de Doris Lessing) sont elles aussi le lieu d’une construction identitaire d’un(e) sujet-auteur(e), qui en passe cette fois par l’exploration d’une filiation biologique. Foisonnante et polymorphe, la biographie littérairesemble toujours offrir de nouvelles configurations à explorer, de nouvelles formes à expérimenter.


Le colloque s’intéressera particulièrement à trois questions :

1)   L’hybridité formelle : quels sont les usages de la fiction dans l’écriture biographique ?

2)   L’intertextualité et l’« interauctorialité » : quel héritage esthétique et/ou culturel lie le/la biographe à l’artiste biographé(e) ? Dans quelle mesure les esthétiques de chacun(e) des deux auteur(e)s peuvent-elles fusionner, entrer en conflit ou se rejoindre ?

3)   La (dé)/(re)construction simultanée de plusieurs « fonctions-auteurs » : quels sont les croisements possibles (entre deux époques, deux espaces régionaux, nationaux, (post)coloniaux, deux identités sexuelles…) dans la configuration bipolaire entre biographe et biographé(e) ?

 

Les propositions de communication (300-500 mots) sont à envoyer en anglais ou en français à Lucie Guiheneuf et Aude Haffen à l’adresse : [email protected], accompagnées d’un titre et d’une courte notice biographique, avant le 30 juin 2012. Le comité de sélection se réunira avant le 30 juillet 2012.  

Writers’ Biographies:

Hybridities, Combinations and Metamorphoses

 

International Symposium – 19-20 September 2013

University of Paris – Sorbonne

Convened by D2I (VALE : EA 4085)

The symposium will be dedicated to writers’ biographies, biofictions and family biographies in the Anglophone world from the modernist period until now.

 

Since the renewal of the genre initiated by the English “New Biographers” (see Virginia Woolf’s famous essays “The New Biography” and “The Art of Biography”, 1927), the tradition of writers’ biographies has been through many reinterpretations, notably those proposed by Anthony Burgess (Nothing like the Sun: A Story of Shakespeare’s Love-Life, 1964), Peter Ackroyd (The Last Testament of Oscar Wilde, 1983; Chatterton, 1987), Julian Barnes (Flaubert’s Parrot, 1984; Arthur and George, 2007), Michael Cunningham (The Hours, 1999), or Lila Azam Zanganeh(The Enchanter: Nabokov and Happiness, 2011). Writers’ tributes to other writers have also been voiced in more traditional biographies, such as Nicolai Gogol (1944) by Vladimir Nabokov, Shakespeare: The Biography (2005) by Peter Ackroyd, or Like a Fiery Elephant: The Story of B. S. Johnson (2005) by Jonathan Coe. Writers’ family biographies, such as My Ear at his Heart (2004) by Hanif Kureishi and Alfred and Emily (2007) by Doris Lessing, are yet another mode of constructing one’s authorial identity by exploring one’s biological filiation. Through its abundant and polymorphous expressions, literary biographyenables writers to explore and experiment with countless new configurations and forms.

 

The symposium will focus on three main problems:

1)   Formal hybridity: what are the different uses of fiction in biographical writing?

2)   Intertextuality and interaction of two authorial images: what aesthetic and/or cultural heritage links the biographer to the biographee? To what extent can the aesthetics of each writer merge with, or come in conflict with, the other’s?

3)   Simultaneous (de)/(re)construction of several authorships: what are the potential encounters (between two epochs, two regional, national, or (post)colonial spaces, two sexual identities…) in the dual configuration of biographical writing?

 

Abstracts (300-500 words) written in English or French should be sent to Aude Haffen and Lucie Guiheneuf at the following address: [email protected], along with a title and a short CV before June 30th, 2012. Notification for acceptance will be communicated to scholars by July 30.

 

Maurice Couturier


Jamais, peut-être, le fils d’un écrivain n’avait été autant associé à l’œuvre de son père que Dmitri Nabokov. Lorsque je le rencontrai pour la première fois en 1981 au Montreux Palace où Véra nous avait donné rendez-vous, à mon épouse et à moi, il venait tout juste de quitter l’hôpital où il avait passé onze mois si je me souviens bien suite à un gros accident de voiture et portait encore sur le visage quelques vilaines cicatrices. Depuis cette époque-là, il s’est consacré presque uniquement à traduire, commenter, promouvoir l’œuvre de son illustre père, d’abord en compagnie de sa mère, puis seul après la disparition de celle-ci. J’ai raconté ailleurs comment, l’invitant au premier colloque de Nice en 1992, j’avais par erreur adressé le fax d’invitation à Vladimir et non à Dmitri, gaffe qui l’amusa beaucoup. Sa participation au colloque fut discrète mais très apprécié de tous les collègues.

Dmitri était un homme charmant, charmeur même, toujours prêt à apporter son aide aux divers projets concernant son père. Il a facilité mes relations, parfois houleuses, avec les éditions Gallimard, soucieux qu’il était de voir paraître la Pléiade à laquelle il attachait beaucoup d’importance. Lorsque je l’informai que le retard dans la publication était dû en bonne partie au fait qu’Antoine Gallimard trouvait excessifs ses droits d’auteur, il intervint aussitôt et réduisit à la baisse ses exigences. Je n’aurais sans doute pas eu le privilège de retraduire Lolita s’il n’avait pas adressé une lettre à Antoine disant tout le mal qu’il pensait de la traduction de Kahane et suggérant que l’on me confie ce travail. Chaque fois que je le rencontrais ou lui téléphonais (la dernière fois deux mois avant sa mort), il était plein de prévenance et toujours intéressé à l’avancement de mes travaux. Il eut la gentillesse de revoir ma traduction de L’Original de Laura, y apportant quelques corrections utiles, me sachant gré d’avoir noté une erreur de transcription par rapport à une fiche dans l’édition américaine.

Il m’avait confié il y a plusieurs années qu’il travaillait à un roman ; je ne l’interrogeai évidemment pas sur le sujet qu’il y traitait, mais je lui demandai s’il comptait le publier sous son nom. « Bien sûr que non », me répondit-il. Il est des noms difficiles à porter ! Qu’est-il advenu de ce projet ? Je n’en sais rien, mais je gage que quelque autre Nabokovien saura répondre à cette question.

Notre dette envers Dmitri est immense. Il a pris des risques, notamment lorsqu’il a publié L’Enchanteur et L’Original de Laura, et nous lui en sommes reconnaissants. Nabokov n’aurait sans doute pas voulu voir paraître ces textes, on le sait, mais je suis persuadé néanmoins qu’il n’aurait pas hésité à dire de lui ce que dit le colonel à la fin de « La Vénitienne » : « Je suis fier de mon fils ». N’était-ce pas, en 1924, sa manière à lui de solliciter l’admiration de son propre père décédé deux ans auparavant ?

 

Lara Delage Toriel

Je me souviendrai toujours de ma rencontre avec Dmitri Nabokov. C’était un 23 avril, j’avais 23 ans, et j’étais venue à Montreux pour assister aux célébrations du centenaire de la naissance de son père. C’est parmi une nuée de journalistes le sollicitant, à qui mieux mieux, pour quelques mots, une photo, que je lui ai serré la main la première fois avant de m’éclipser en vitesse. Quelques mois plus tard, au sortir d’un banquet venant clôturer une conférence sur Vladimir Nabokov à Cambridge, je sens une main se poser sur mon épaule; j’entends une voix profonde résonner dans mon dos et m’appeler par mon prénom. C’est le grand Dmitri. Du haut de ses deux mètres et quelques, il m’invite à l’accompagner jusqu’à sa chambre, avec Brian Boyd, le biographe de son père. C’est dans cette aile de Trinity College où l’auteur, alors jeune étudiant, avait lui-même vécu, que nous nous sommes pour la première fois vraiment parlés. Par la suite, nous nous sommes retrouvés à différentes reprises, d’abord autour de Laughter in the Dark, œuvre qu’il m’avait demandée de retraduire pour l’édition de la Pléiade, puis autour de The Original of Laura, qu’il me laissa parcourir à loisir dans le cadre de ma recherche doctorale, avant de me proposer de tenter d’en reconstituer la structure, à l’heure où le sort de ce manuscrit inachevé enfermé dans une boîte à chaussures – fallait-il le brûler ou le publier ? – demeurait pour le moins incertain.

Outre la gestion de l’héritage familial (tant matériel qu’immatériel), son état de santé était une source de préoccupation constante, mais malgré cela, à mes côtés et au cours de notre correspondance, il se montrait toujours affable, curieux et joueur. Si je n’ai pas toujours partagé ses prises de position, je retiens l’espièglerie qu’il y avait dans nos échanges, et la grande confiance qui s’en dégageait. Plutôt que le vieil homme en chaise roulante qui m’accueillit une dernière fois chez lui en 2010, par une orageuse journée d’août, j’aime à me souvenir de la fierté fougueuse avec laquelle il m’avait invitée un jour, au sortir d’un séjour à l’hôpital, à filer à toute berzingue le long des lacets escarpés dominant le lac Léman. A chaque coup d’accélérateur, projetée vers l’arrière comme sur un parcours de montagnes russes, je mesurais les frayeurs de son père tout en absorbant sans vergogne la joie toute enfantine qui animait ce lutin géant aux chaussons rouge Ferrari.

 

 

Les Publications de Dmitri Nabokov

Diplômé de l’Université de Harvard, où il rédige un mémoire (ou B.A Honors Thesis) étudiant l’influence de Shakespeare sur Pouchkine, Dmitri Nabokov fut toute sa vie un ‘passeur’ d’œuvres littéraires, essentiellement celles de son père, bien que sa première traduction, publiée en 1958, portât sur A Hero of our Time de Mikhail Lermontov. Il s’agissait-là d’une ‘collaboration’ avec son père, terme qui par la suite devint une manière codifiée de désigner ce qui en fait était surtout sa propre traduction, relue et corrigée par son père, le nom de ce dernier accolé au sien servant alors de caution. Il en ira ainsi de ses traductions en anglais des romans russes de Vladimir Nabokov : Glory, King, Queen, Knave, Invitation to a Beheading, The Eye, avec un destin plus particulier pour The Gift, dont il ne traduisit que le premier chapitre, avant de passer la main à Michael Scammell, puis à son père, qui révisa le tout. Ce même système de ‘collaboration’ est adopté du vivant de Vladimir Nabokov pour la pièce de théâtre The Waltz Invention ainsi que pour un certain nombre de nouvelles, regroupées dans trois recueils: Details of a Sunset and Other Stories, A Russian Beauty and Other Stories, Tyrants Destroyed and Other Stories.

Suite au décès de son père, Dmitri Nabokov signe en son seul nom des œuvres qu’il choisit lui-même de traduire et publier, notamment la longue nouvelle The Enchanter datant de 1939 mais tardivement redécouverte, qu’il dote d’une préface signée de sa plume et qu’il traduira plus tard en italien. Il remet en valeur d’autres facettes méconnues de Vladimir Nabokov, notamment sa production théâtrale, en traduisant et en éditant The Man from the U.S.S.R. and Other Plays, qu’il accompagne d’un essai, “Nabokov and the Theatre” . On lui doit aussi un bon nombre de trouvailles poétiques publiées à droite et à gauche, notamment le poème russe “Shakespeare” qu’il traduit pour la revue The Nabokovian, en 1988. Avec Matthew J. Bruccoli, il édite une part importante de la correspondance de son père, Selected Letters, 1940-1977. En 1995, il édite un recueil contenant soixante-cinq nouvelles, dont onze, toutes traduites par Nabokov fils, sont publiées pour la première fois. Il contribue également en tant que traducteur au volume Nabokov’s Butterflies (édité par Brian Boyd et Robert Michael Pyle), où sont réunis, de manière très exhaustive, les écrits de Vladimir Nabokov sur les papillons. La révélation qui aura fait le plus de bruit (et sans doute aussi le plus de tort à Dmitri) est celle du dernier roman inachevé de Vladimir Nabokov, The Original of Laura , qu’il publie en 2009.

L’entreprise de traducteur de Dmitri Nabokov ne se restreint pas au champ russo-américain, puisqu’il traduit également du français vers l’anglais l’essai “Pushkin, or the Real and the Plausible” et de l’anglais vers l’italien le roman Transparent Things (Cose Trasparenti). Il laisse derrière lui quelques essais sur son père,  “On Revisiting Father’s Room” (Vladimir Nabokov: A Tribute , 1980) “A Few Things That Must Be Said on Behalf of Vladimir Nabokov” (Nabokov’s Fifth Arc, 1982), “Translating with Nabokov” (The Achievements of Vladimir Nabokov, 1984), “Things I Could Have Said” (Cycnos, 1993). Il est par ailleurs l’auteur d’un essai sur la synesthésie, phénomène qu’il partageait avec ses deux parents, dans Wednesday Is Indigo Blue : Discovering the Brain of Synesthesia (avec Richard E. Cytowic et David Eagleman, 2009). Une part d’ombre plane sur certaines contributions publiées sous anonymat, notamment pour la presse soviétique.

L’un des derniers projets auxquels Dmitri Nabokov s’attela, projet cher à son cœur mais qui ne verra le jour qu’après sa disparition, fut une collaboration avec Olga Voronina et Brian Boyd autour des lettres que son père adressa à sa mère.

 

Dmitri Nabokov (1934-2012)

Dmitri Nabokov, né le 10 Mai 1934 à Berlin, chanteur d’opéra, alpiniste, coureur automobile, traducteur et collaborateur de son père, Vladimir Nabokov, s’est éteint le 23 février dernier à l’âge de soixante dix-sept ans.

Fils unique et choyé de l’écrivain et de son épouse Véra, Dmitri passe une vie entière à tromper la mort. Enfant russe de mère juive, il a échappe à la menace de l’oppression nazie à deux reprises, alors que lui et ses parents quittent enfin en 1937 l’Allemagne hitlérienne pour la France puis embarquent en 1940 pour les États Unis, un mois avant que la capitale française ne soit envahie. Alpiniste, il survit en 1952 à une chute de neuf mètres et, en décembre de la même année, échappe de peu à l’impact d’un astéroïde écrasé au Mexique à quelques mètres de son campement. Enfin, victime en 1980 d’un grave accident de voiture à l’âge de quarante-six ans, il est pris en charge par l’unité des grands brûlés de l’hôpital de Lausanne où il trouve (temporairement !) la mort. S’éveillant quelques heures plus tard, il dit avoir retenu la vision « classique » d’un tunnel de lumière avant de décider de rebrousser chemin, estimant avoir encore bien des choses à accomplir de l’autre côté.

Diplômé en 1955 de la Faculté de Droit de Harvard, Dmitri préfère la carrière de chanteur d’opéra à celle de juriste et intègre finalement la Longy School of Music de Cambridge, Massachusetts. Son père dit de lui à cette époque que parmi ses centres d’intérêt figurent (« dans cet ordre » !) l’escalade, les filles, la musique, la course automobile, le tennis et, enfin, ses études. Il devient par ailleurs traducteur et éditeur pour la revue Current Digest of the Soviet Press. Bientôt, et alors qu’éclatait l’ouragan Lolita, Vladimir Nabokov confie à son fils la traduction en anglais de l’avant-dernier roman qu’il avait écrit en russe, Invitation to a Beheading, publié en 1960. Cette traduction marque le début d’une collaboration fructueuse, l’auteur appréciant la richesse du vocabulaire anglais de son fils et Dmitri concédant à son père le privilège d’avoir toujours le dernier mot. Dmitri traduira notamment The Eye (1966), King, Queen, Knave (1968) et Glory (1971). En 1959,il part à Milan se former auprès d’un professeur de chant de La Scala, où il a acquiert une certaine notoriété, la presse italienne le surnommant alors « Lolito ». Sa vie amoureuse est riche et mouvementée, bien que Dmitri ne se soit jamais marié et qu’on ne lui connaisse pas de descendance. En 1975, de retour aux États-Unis, il réalise son rêve d’interpréter le Requiem de Verdi, de tout temps son œuvre lyrique préférée.

Si l’accident en Ferrari du 26 Septembre 1980 manque de peu de lui ôter la vie, l’épisode met bel et bien fin à sa carrière de chanteur. Dmitri le Phoenix décide alors de se consacrer à l’écriture : celle de son père, disparu trois ans plus tôt, et dont il continue de traduire les pièces de théâtre, lettres, ainsi que la nouvelle The Enchanter. Il entreprend par ailleurs à son tour l’écriture d’une œuvre : l’émouvant mémoire « On Revisiting My Father’s Room » que lui avait inspiré la mort de son père.

Vladimir Nabokov avait laissé derrière lui le manuscrit inachevé d’un dix-huitième roman, The Original of Laura. A la mort de Véra, en 1991, Dmitri devient le gardien légal de l’héritage littéraire. Le dilemme soulevé par la publication de cette œuvre embryonnaire, dont l’écrivain souhaitait qu’elle soit détruite après sa mort, l’occupe alors pendant près de vingt ans, Dmitri se déclarant tour à tour prêt à obéir à la volonté de son père puis résolu à publier contre toute attente le mystérieux manuscrit. Sa collaboration avec un nouvel agent littéraire, Andrew Wylie, à compter de 2008, contribue à sa décision finale de publier l’ouvrage dans sa forme authentique et incomplète, reproduisant pour ce faire l’apparence et le contenu des cent trente-huit fiches cartonnées de l’ébauche du roman. Selon Dmitri, The Original of Laura était « son meilleur roman », un pur concentré de l’activité créatrice de l’auteur

Dans les dernières pages de son autobiographie, Speak, Memory (1951), Vladimir Nabokov raconte que Dmitri, enfant, avait ramassé, sur une plage du sud de la France, un morceau de majolique brisé dont le motif peint perpétuait celui d’un premier fragment, trouvé par l’auteur lui-même, sur la même plage, des années auparavant. En relisant ces pages, on ne peut que faire le parallèle avec la qualité du regard que Dmitri portait sur l’œuvre de son père et qui lui permettait d’en prolonger la portée. Cette anecdote, choisie parmitant d’autres, nous montre combienla voix de Vladimir Nabokov perdurait à travers Dmitri. C’est donc cela : un dernier lien terrestre nous unissant à l’auteur, qu’il emporte avec lui.

Les publications de Dmitri Nabokov

l-original-de-laura

« Texte inachevé composé dans la souffrance et la perspective d’une mort prochaine, L’Original de Laura présente l’ébauche d’un enchevêtrement de récits. L’auteur de Lolita reprend ici certains des éléments qui ont fait le succès de son plus célèbre roman. Flora n’est certes pas une nymphette, mais elle ressemble à s’y méprendre à une Lolita qui ne serait pas morte dans les neiges de l’Alaska. Capricieuse, frivole, elle épouse un homme beaucoup plus âgé qu’elle, un professeur de psychologie appliquée, mais collectionne ouvertement les amants ; l’un d’eux la prend pour modèle d’une de ses héroïnes, Laura, dans un roman où figure aussi en bonne place le mari vieillissant. Celui-ci, harcelé par la souffrance, s’ingénie, au moyen de certains exercices, à s’effacer, à se gommer mentalement. L’auteur, dont les exigences esthétiques étaient très élevées, nous permet malgré lui, de percevoir à distance, entre les lignes, entre les fiches, l’ultime souffle d’un romancier de génie. » Maurice Couturier

Vladimir Nabokov, L’original de Laura (C’est plutôt drôle de mourir), traduction Maurice Couturier, Paris, Gallimard 2010.

mc-oeuvres-completes-t2

« Ce volume marque un tournant. Il contient, d’une part, deux romans écrits en russe à la fin des années 1930 : Le Don, le plus magistral des livres russes de Nabokov, et L’Enchanteur, où apparaît la première «nymphette» nabokovienne et qui ne fut publié qu’en 1986, dans la traduction anglaise due au fils de l’écrivain. Il réunit, d’autre part, les trois premiers romans que Nabokov composa en anglais et un livre qui, pour n’être pas le plus connu de son auteur, n’en est pas moins un chef-d’œuvre : l’autobiographie Autres rivages, dont le point de départ date des années 1930 ; il s’agissait alors d’un texte en français sur la gouvernante du petit Vladimir, mais il fut entièrement recomposé en anglais avant de paraître en 1951. Période charnière, donc, qui voit la naissance et, avec Lolita, la consécration d’un écrivain de langue anglaise. L’accouchement, qui est aussi un arrachement, ne se fit pas sans douleur. Le changement de terre, le changement de langue, l’ombre menaçante des totalitarismes confèrent aux livres de cette période une particulière intensité tragique. Plusieurs textes évoquent la perte (notamment La Vraie Vie de Sebastian Knight, dont le héros est un écrivain) et ce que le latin nomme desiderium : désir, besoin, regret. Il faut renoncer à l’enfance, aux amours anciennes, à la littérature russe (véritable héroïne du Don), à toutes « ces choses que le destin empaqueta un jour, pêle-mêle, et jeta à la mer ». Mais Nabokov, à vrai dire, n’y renonce pas. Il les métamorphose et les rend inoubliables. »

Couturier, Maurice, Direction des Œuvres romanesques complètes de V. Nabokov, vol. II, Paris, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 2010.

yc-fictions-ecrivains

« Des premières nouvelles publiées en russe à son dernier roman en langue anglaise, Vladimir Nabokov a mis en scène une centaine de personnages d’écrivains : universitaires, poètes, romanciers, biographes ou autobiographes. Pourquoi écrivent‑ils ? Qu’est-ce qui les prédispose à devenir écrivains ? Après avoir esquissé une typologie sociologique, ontologique et esthétique de ces figures d’écrivains, ce livre se concentre sur leur étude à travers les narrateurs de trois romans majeurs de Nabokov : Humbert Humbert dans Lolita, Kinbote dans Feu pâle et Van Veen dans Ada ou l’Ardeur, et montre la façon dont ces trois personnages naissent et s’épanouissent sous nos yeux grâce à la plume que leur créateur leur a prêtée le temps d’un roman. L’ouvrage inclut un Who’s Who des écrivains dans la fiction de Nabokov et des illustrations provenant des archives Vladimir Nabokov conservées à la Berg Collection de la New York Public Library, dont un document inédit. »

Chupin, Yannicke, Vladimir Nabokov, Fictions d’écrivains, préface de Michael Wood, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2009.

mmampd-lolita-cartographies-obsession

‘L’aura sulfureuse du roman culte des années 1950, Lolita, de Vladimir Nabokov, a propulsé le livre sur les devants de la scène internationale, mais elle a aussi longtemps occulté les figures extraordinaires, les tours et détours subtils d’une prose singulière, aux accents multiples et à l’intertextualité complexe. Les accointances avec le cinéma de l’écrivain russe naturalisé américain ont également prédestiné le texte à un devenir cinématographique, tant sa texture visuelle est riche et ses références filmiques multiples. Lorsque Kubrick décide de porter à l’écran Lolita en 1962, une partie du travail de l’adaptation est donc déjà enclenchée. Le scénario original de Nabokov est cependant si détaillé et, précisément, si personnel, que le cinéaste se voit obligé de réécrire, avec son coproducteur James Harris, l’essentiel de ces quatre cents pages pour inscrire dans un autre médium une oeuvre profondément originale, elle aussi émaillée d’allusions méta-filmiques. Nous allons pénétrer au coeur de la spécificité linguistique et narrative du roman de Nabokov, ainsi qu’au coeur du processus de transcodage et d’intermédialité du film, pour en décrypter les grands motifs et modes de représentation. »

Manolescu, Monica et Paquet-Deyris, Anne-Marie, Lolita [Nabokov, Kubrick]. Cartographies de l’obsession, Paris, Presses universitaires de France/CNED, 2009.