Isabelle Poulin (dir.), « Nabokov ou le vrai et le vraisemblable », Revue de Littérature Comparée, n° 342, 2012/2.

Isabelle Poulin • Avant-propos

Articles
Elizabeth Klosty Beaujour • Devenir Nabokov
Maria Malikova • Le poète fantôme parisien Vassili Chichkov et les poèmes avérés de Vladimir Nabokov
Laurence Guy • L’original perdu de Nabokov, ou pourquoi le russe était « une bonne langue « de départ » mais une horrible langue « d’arrivée » »
Marie Bouchet • Les mots étrangers de Vladimir Nabokov, une propriété privée
Stanislas Gauthier • Une oeuvre trilingue peut-elle être originale ?
Isabelle Poulin • L’enfance de l’art. Portrait de l’écrivain en « premier homme » seul dans les langues

Une nouvelle association consacrée à Vladimir Nabokov

Résumés
Abstracts

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Résumés :

Elizabeth KLOSTY BEAUJOUR, Devenir Nabokov
Dans cet article, Elizabeth Klosty Beaujour démontre que Nabokov ne devrait être défini ni comme un écrivain russe, ni comme un écrivain américain, mais plutôt comme un écrivain dont l’identité artistique fondamentale était polyglotte par nature. Sa propre réalisation de cette identité consista en une acquisition progressive de son écriture, qui ne fut totale que dans les dernières années. Empruntant ses arguments aux recherches de Lambert et des neurolinguistes, Beaujour analyse les effets du bilinguisme sur les romans américains de Nabokov ainsi que sur la transformation de ses mémoires passés au filtre de trois langues.

Maria MALIKOVA, Le poète fantôme parisien Vassili Chichkov et les poèmes avérés de Vladimir Nabokov
L’article propose une relecture détaillée de la célèbre histoire chichkovienne (la publication par Nabokov, sous le pseudonyme de Vassili Chichkov, de poèmes et d’un récit homonyme, et les réactions du critique Guéorgui Adamovitch), en étudiant le contexte de l’été et de l’automne 1939 ainsi que les commentaires rétrospectifs que lui ont consacrés ses deux protagonistes après guerre. Le cycle chichkovien ne semble pouvoir être réduit à une imposture réussie de Sirine, à une mystification d’Adamovitch, comme l’a écrit Nabokov dans les années soixante-dix ; il représente aussi une combinaison complexe des deux figures du poète et du critique, de la politique littéraire et de la poétique.

Laurence GUY, L’original perdu de Nabokov, ou pourquoi le russe était « une bonne langue « de départ » mais une horrible langue “d’arrivée” »
L’autobiographie fantasmatique pratiquée par le Nabokov de la période américaine ne cessa d’approfondir la double question que l’auteur de l’essai « Pouchkine ou le vrai et le vraisemblable » (1937) articulait déjà : celle de l’inaccessibilité de l’auteur réel et de l’original intraduisible. S’ils se partageaient un même original hors texte (le « vrai Nabokov », auquel nul n’aurait jamais accès), le romancier Sirine et son successeur américain ne pouvaient, certes, être identiques. Mais ils devinrent en outre de moins en moins équivalents au fur et à mesure que l’un s’appropriait les textes de l’autre. Le présent article explore ce paradoxe en s’interrogeant sur le travail de la ré-énonciation et du décentrement dont la traduction tardive de L’Exploit marqua le point d’aboutissement.

Marie BOUCHET, Les mots étrangers de Vladimir Nabokov, une propriété privée
Cette étude propose d’illustrer comment Nabokov, coupé de sa terre natale et métamorphosé en écrivain américain, utilisa l’hybridité comme principe créateur pour mettre au point ce qu’il appelait son anglais « privé », qui est si particulier. L’analyse se concentrera sur l’un des aspects frappants de l’hybridité langagière nabokovienne, l’insertion de mots étrangers au sein de sa prose en anglais, sur leur fonction, notamment dans les jeux de mots plurilingues. Comme il est illustré dans l’étude, les mots étrangers permettent en effet de déployer le signifiant de manière poétique, révélant la face iridescente des mots.

Stanislas GAUTHIER, Une oeuvre trilingue peut-elle être originale ?
L’originalité de Nabokov tient à son trilinguisme. Quand il pratique l’autotraduction en anglais, russe, français, il évite toute superposition des versions de ses oeuvres. Toute traduction devient alors un original et réciproquement, puisque l’écrivain a toujours pensé son oeuvre en trois langues. Est ainsi proposée, grâce à la complexification des évidences, une réflexion sur les pouvoirs de l’art. Plutôt que de faire du réel une origine, Nabokov met en évidence sa multiplicité séparée en facettes disjointes, l’écrivain montrant la nécessité d’une littérature qui joue sur les échelles et les langues pour appréhender un monde d’illusions.

Isabelle POULIN, L’enfance de l’art. Portrait de l’écrivain en « premier homme » seul dans les langues
S’il s’agit de comprendre d’où écrit Vladimir Nabokov, il n’est pas sans intérêt d’interroger l’espace plurilingue de l’enfance d’où émerge, paradoxalement, la conscience d’un commencement absolu : le paradigme de la première fois (motif omniprésent dans cette oeuvre bilingue) éclaire la pratique artistique de Nabokov entre les langues, aussi bien du point de vue de l’engendrement de l’oeuvre que de sa filiation. L’original de Nabokov est ainsi à chercher dans une pratique de la lecture qui s’apparente à une expérience de l’inadéquation, mêlant solitude (nécessaire au travail de la traduction) et humour (signature propre de l’auteur).

Abstracts
Elizabeth KLOSTY BEAUJOUR, Becoming Nabokov (in French)

In this article, Elizabeth Klosty Beaujour argues that Nabokov should be defined neither as a Russian writer, nor as an American writer, but rather as a writer whose fundamental artistic identity was polyglot in nature. His own realization of this identity was an emergent property of his writing, and was only arrived at in his later years. Supporting her argument by citing the research of Lambert and other neurolinguists, Beaujour analyzes the effects of bilingualism on Nabokov’s American novels as well as on Nabokov’s transformation and retransformation of his memoirs through three languages.

Maria MALIKOVA, The Parisian Ghost Poet Vassili Chichkov and the Poems Proven To Be by Vladimir Nabokov (in French)
This article focuses on a detailed second reading of the famous chichkovian story (the publication of poems and a homonymous narrative by Nabokov, under the pen name of Vassili Chichkov, and the reactions of the critic Gueorgui Adamovitch), by studying the context of the summer and autumn of 1939 as well as the retrospective comments that his two protagonists dedicated to him after the war. The chichkovian cycle cannot be simply reduced to a successful imposture of Sirine, to a mystification of Adamovitch, as Nabokov implied in the seventies; it also represents a complex combination of both the poet and the critic, of literary policy and poetics.

Laurence GUY, The Lost Original of Nabokov, or Why “Russian Was a Good ‘From’ Language But a Terrible ‘Into’ One” (in French)
The fantastical autobiography favoured by Nabokov in his American period never ceased to explore the double question that the author of the essay “Pushkin, or the Real and the Plausible” (1937) had already articulated: that of the inaccessibility of the real author and the untranslatable original. Even if they shared the same original (the “real Nabokov”, to whom nobody would ever have access), the novelist Sirine and his American successor could obviously not be identical. Indeed they became less and less equivalent as one appropriated the texts of the other. The present article investigates this paradox by examining the work of re-enunciation and decentering which culminated in the late translation of The Exploit.

Marie BOUCHET, Foreign Words, or Nabokov’s Private Property (in French)
This paper contends that Nabokov, once severed from his native land and metamorphosed into an American writer, used hybridity as his creative principle in order to craft what he called his “private” English, which indeed made him a unique writer in American literature. This paper focuses on one particular aspect of Nabokov’s linguistic hybridity, namely his use of foreign words. Our study will interrogate their function and the way they are used to produce multilingual puns. As is demonstrated, foreign words operate an opening of the signifier which reveals the iridescent facets of words.

Stanislas GAUTHIER, Can a Trilingual Work Be Original? (in French)
Nabokov’s originality resides in his trilinguism. When he translates his works into English, Russian and French, he avoids any superimposing of the versions of his works. Every translation thus becomes an original and vice versa, because the writer always conceived his work in three languages. Thus, thanks to a more complex understanding of what seems obvious, a reflection on the powers of art is made possible. Rather than making reality an origin, Nabokov brings to light its multiplicity fragmented into separate facets, the writer revealing the necessity of a form of literature which plays on scale and languages to grasp a world of illusions.

Isabelle POULIN, Child’s Play. Portrait of the Writer as a “First Man” Alone Among Languages (in French)
If it is a question of understanding from where Vladimir Nabokov writes, it is interesting to question the multilingual space of childhood from where the consciousness of an absolute beginning paradoxically appears: the paradigm of the “first time” (an omnipresent theme in this bilingual work) helps us to understand Nabokov’s artistic use of languages, both from the point of view of the birth of the work and its filiation. Nabokov’s original is thus to be found through a way of reading which is similar to an experience of inadequacy, where solitude (necessary for translation) and humour (the author’s signature) intertwine.

Revue de Littérature comparée, 2012/2 :  « Vladimir Nabokov ou le vrai et le vraisemblable » (sous la dir. d’Isabelle Poulin)
Paris, Klincksieck, 2012, 128 p., 20E

Url de référence :
http://www.klincksieck.com/livre/?GCOI=22520100000490